Rare ensemble composé de treize noyaux d’abricots sculptés

Ces treize noyaux faisaient vraisemblablement partie d’une série plus importante. Ils reproduisent fidèlement (hormis n°4) des sesterces des deux premiers siècles après Jésus-Christ, portant pour la plupart au revers le S C (Senatus Consulto) qui attestait du contrôle du sénat romain sur la production de monnaies en bronze. Ce choix thématique s’accorde parfaitement au retour vers l’Antiquité classique prôné par les cours italiennes aux XVe et XVIe siècles dans tous les domaines, et plus spécialement dans celui des Arts. La conception de cette suite de noyaux – autant que leur style – invite à reconnaître l’incroyable talent de miniaturiste de l’artiste Properzia de’Rossi. Elle est reconnue comme l’unique femme sculpteur de la Renaissance italienne et la seule femme artiste que Giorgio Vasari a intégré à la première édition en 1550 de son œuvre Le Vite de’ più eccellenti architetti, pittori et scultori italiani, da Cimabue insino a’ tempi nostri. Il y fait l’éloge de son art singulier : … Douée d’une adresse et d’une patience merveilleuse, elle s’amusait à tailler des figures d’une délicatesse et d’une élégance extrême sur des noyaux de pêche. Elle cisela de la sorte sur un seul noyau la Passion du Christ, avec les apôtres, les bourreaux et une infinité de personnages. Ces noyaux sont à mettre en relation avec les seuls qui lui soient attribués ornant un important pendentif en filigranes d’argent représentant les armoiries de la Famille Grassi aujourd’hui conservé au Museo Civico Medievale de Bologne (inv. 2135, fig.a). Ils témoignent aux yeux des historiens de l’art de l’extraordinaire minutie de son travail comme de sa dextérité. Les noyaux d’abricots ou de prunes sculptés sont insérés dans une monture d’argent filigrané figurant un aigle bicéphale couronné. Dans ce bijou fastueux centré d’une croix, les noyaux sont de thème religieux, représentant des apôtres et des saintes, la plupart en buste et de profil à l’imitation de camées antiques entourés d’inscriptions hagiographiques (fig.b et c)

Fille de notable, née à Bologne en 1490, Properzia de’Rossi aurait été formée par Marcantonio Raimondi à l’art de la gravure. Elle débute sa carrière en sculptant et gravant avec minutie et prouesse des noyaux de fruits mais, désirant travailler le marbre afin de prouver la mesure de son talent dans un domaine jusque-là réservé aux hommes, Properzia réussit avec l’aide de son mari à postuler pour l’exécution des sculptures qui devaient orner les portes de la basilique de san Petronio à Bologne, aux côtés de sculpteurs renommés dont Amico Aspertini. La sculpture qui suscita certainement le plus d’attention est son bas-relief représentant la femme de Putiphar arrachant le manteau de Joseph (fig.d). Vasari, fasciné par cette réalisation, vit dans ce choix thématique le propre désespoir de Properzia qui serait tombée amoureuse d’un jeune homme aux sentiments non partagés. Cette image de femme artiste, éprouvée par sa condition et sa solitude, véhiculée dans l’œuvre de Vasari, s’est amplifiée et a perduré jusqu’au XIXe siècle, faisant de Properzia la figure d’une héroïne romantique sous toutes ses formes, dans son combat pour la reconnaissance de son art autant que pour son amour perdu.

En ce début du XVIe siècle, le goût pour la sculpture miniature d’une grande dextérité se manifeste également aux Pays-Bas dans la production d’objets de piété, récemment mis en lumière dans l’exposition Smalls Wonders au Rijksmuseum. Ces chefs-d’œuvre que constituent ces treize noyaux s’inscrivent donc dans la délectation que la bourgeoisie aisée et les cours européennes manifestaient alors pour ces éblouissants tours de force. Ils témoignent également de la fascination des milieux intellectuels pour l’Antiquité. L’artiste a vraisemblablement répondu à la commande d’un collectionneur de monnaies romaines qui lui a fourni les modèles à reproduire. Il faut souligner la rareté d’exemples de noyaux comparables conservés dans les collections publiques ou passés dans le marché de l’art.

Ouvrages consultés :

– L, Bellosi et A, Rossi, Le vite de’ più eccellenti architetti, pittori, et scultori italiani, da Cimabue insino a’ tempi nostri. Nell’edizione per i tipi di Lorenzo Torrentino, Turin, 1986, p. 748 – 751
– V. Fortunati et I. Graziani, Properzia de’ Rossi – Una scultrice a Bologna nell’età di Carlo V, Bologne, 2008
– Exposition Amsterdam 2017, Small Wonders, Rijksmuseum, cat.